Hélène 2006 (…) Un jour que nous étions à table, en bas sur le rivage, pour les fêtes de la victoire, alors que nous venions d’enterrer les morts et que la cité fumait encore d’un bout à l’autre de l’horizon dans le crépuscule tranquille de l’automne, Hélène, qui tenait son verre devant ses lèvres, s’écria : « écoutez le son de mes bracelets ; c’est moi qui suis morte » – et de ses dents coula une lueur si blanche que soudain tout devint de marbre et d’os. Les mains et les voix s’immobilisèrent dans l’air. Tout était blanc --- les mâts et la mer étaient blancs ; une mouette, comme atteinte par une flèche invisible, tomba sans bruit juste au milieu de la table, à c^té des amphores. Hélène la prit dans ses mains, la regarda sans dire un mot, trempa le petit doigt dans son sang et traça sur l nappe un cercle irréprochable --- peut être un zéro, peut être le tout. Puis elle arracha dans un élan de joie inouïe une pincée de plumes sous le centre de l’oiseau et les éparpilla en riant sur nos cheveux. Nous oubliâmes. Il ne resta qu’un goût de blanc et que ce cercle inexplicable. (…) Décembre 71 in Le mur dans le miroir - Agamemnon |
Petite suite en rouge majeur 2006 Le poème ah le poème – disait-il - un accouplement perpétuel aucune ponctuation nul point à la ligne la terre qui sent le fumier de fleur de citronnier et le sperme la pioche et la pelle là sur le marbre double travail ne dis plus rien l’amour unique 22.1.80 in Erotica |
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Petite suite en rouge majeur 2006 Ce que nous n’avons pas dit conserve peut-être encore un peu de nos gestes de nos actions pareilles aux actions de tierces personnes les autres s’attardaient ils emballèrent le poisson dans un journal (il était rouge) entrèrent par la porte vitrée disparurent - à coup sûr ce poisson devait être leur secret. 18.2.80 in Erotica |
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Cela, oui 2006 cela, oui Mer calme. L’ombre du poisson qui passe sur l’autre poisson. Midi. Ce que tu as vu, ce que tu as dit, ce que tu n’as pas dit, ce que tu as atteint, en profondeur, de transparence inaccessible. 21.6.71 in Le mur dans le miroir |
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Le chef d’oeuvre sans queue ni tête 2007 seul avec des nuits qui s’épaississent sous les meubles avec des foules innombrables invisibles dans l’air & dans la terre de minuscules socialistes fatigués par les vicissitudes des siècles (…) j’ai vieilli d’une jeunesse sans fin qui n’arrive pas à vieillir (…) Alors bonjour à vous bonjour compagnons du monde & de la légende 1977 in Le chef d’oeuvre sans queue ni tête |
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Indépendance secrète 2008 Ces cinq nuages, presque semblables, comme s’il nous étaient familiers ou confusément agréables, – sans doute à cause de leur nombre, ou bien de nous apercevoir que nous pouvions encore compter, ou tout simplement observer. Après quoi nous prêtâmes attention aux nuances – roses, tirant sur le violet. C’est alors que le sifflet se fit entendre. Nous nous levâmes. Ils nous firent passer un par un devant la porte, et nous comptèrent. Nous souriions. Nous savions bien que nous étions restés en dehors de leur compte, avec ces cinq nuages et la lune si jeune. 23.1.68 in Le mur dans le miroir |
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